Quitter la bohème

PORTRAIT. (Article paru dans le quotidien Libération du 28 juillet 2010) Jean-François Becker est un gitan, un vrai, un tatoué. Durant ses années de primaire à la communale de Longjumeau (Essonne), «les autres» le traitaient de «pouilleux». Lui encaissait en silence. «Ça ne m’a pas empêché d’aller au bout de ma scolarité normalement», assure ce quadragénaire brun au regard clair. Dernièrement, il a pris de plein fouet les propos de Nicolas Sarkozy sur les Roms et les gens du voyage. Un discours visant sa communauté, tenu après l’attaque de la gendarmerie de Saint-Aignan, dans le Loir-et-Cher. Ces débordements avaient été provoqués par la mort brutale, vendredi, de Luigi Duquenet, un jeune homme abattu par un gendarme près d’un barrage, dans des conditions encore indéfinies. «C’est quoi cette déclaration de guerre aux gens du voyage? Il ne faut pas qu’il oublie que nous sommes français depuis plus longtemps que lui !». (Lire la suite...)

Dans un coin de la maison qu’il est contraint d’occuper provisoirement avec sa compagne et ses cinq filles, sa belle-mère acquiesce: «Pourtant Sarkozy, il a bien des origines tsiganes, non?». C’est elle qui accueille gendre, fille et petits-enfants. Rapidement, la voix perchée de Jean-François redescend, mais il prévient solennellement: «Si un jour il le faut, on va se révolter et ce sera la guerre civile.» Pour lui, pas le moindre doute. Il est persuadé que le gendarme a tiré volontairement sur la voiture de Luigi, pour tuer. «Et je vais vous dire, il voulait même tuer les deux [Miguel Duquenet, le cousin de Luigi, était dans la même voiture, ndlr].»

Aux côtés de Jean-François, dans la cuisine où évoluent des chiens de tout gabarit, il y a trois de ses filles et Marie-Josèphe, leur mère. Ils se sont rencontrés le 14 juillet 1989 à un bal populaire, dans l’Oise. «C’est ça, la République !», s’exclame la belle-mère. Marie-Josèphe n’est pas issue de la «communauté» des gens du voyage. Son père était propriétaire d’une exploitation et Jean-François, jeune ouvrier agricole, travaillait dans le champ voisin. «Tous les matins, je passais devant chez elle, et puis, ça a été le coup de foudre.»

Lui est né d’une famille de gitans, «mais français», ajoute-t-il.«Mon grand-père, un Alsacien, s’est battu pendant la guerre.» Ses parents vendaient du linge, des vêtements et des toiles cirées sur les marchés. Ils s’étaient installés, seuls avec leurs cinq enfants - Jean-François a trois frères et une sœur -, dans un chalet posé sur un terrain, à Longjumeau. L’arrivée du jeune homme dans sa belle-famille n’a pas généré d’inquiétudes. «Je le considère comme mon fils», résume sa belle-mère.

Jean-François est d’un abord posé, avec, en permanence, un sourire en coin. S’il n’élève que rarement la voix, dès qu’il parle des «autres», les mots se bousculent. «Tout ce qu’on peut demander, c’est refusé. En fait, on est dans la même situation que les Noirs et les Arabes pour les logements ou l’embauche.» De cette discrimination supposée, Jean-François sort rapidement un exemple qu’il juge emblématique: son terrain.

Après les années de jeunesse sédentaires passées en région parisienne, le couple vient s’installer dans la vallée du Cher en 2003. Avec Marie-Josèphe, ils travaillent alors sur les marchés et vivent chez la belle-mère de Jean-François. Courant 2009, ils achètent à un membre de la famille Duquenet, celle de Luigi, un terrain et un chalet délabré. Ils décident de le raser et d’en construire un neuf. Dans l’intervalle, Jean-François y pose une caravane. «Quand ma compagne s’est rendue à la mairie pour inscrire les enfants à l’école, on lui a dit qu’elle n’avait pas de permis pour la faire stationner. Mais pourquoi en faudrait-il un pour installer une caravane sur notre terrain? Il est à nous, nous l’avons payé !» Ils attendent du maire qu’il revoie sa position. Ce dernier ne semble pas chaud et renvoie la balle aux services de l’équipement, qui invitent Jean-François à se tourner vers… la mairie. «Tout ce que je veux, c’est construire un chalet de 50 mètres carrés avec des chambres, une salle de bain, tout ce qu’il faut pour que mes filles soient bien.» Il suppose que des ennuis passés avec des gens du voyage peuvent expliquer la réticence administrative. «S’il y a eu des problèmes avant, ce n’est pas à nous de payer.»

En attendant un hypothétique dénouement, Marie-Josèphe et Jean-François ont déposé une demande de logement auprès de l’office départemental HLM. Ils n’en reviennent toujours pas de la réponse: «Après examen de votre dossier, celui-ci a émis un avis défavorable à l’attribution à votre profit du logement souhaité. En effet, votre accès à un premier logement ne pourra s’opérer que par le biais d’un logement dit d’intégration.» Autrement dit, comme l’explique à Libération un cadre de Loir-et-Cher Logement, une société HLM, «une passerelle entre un mode de vie en caravane et le mode strictement collectif avec interdiction d’entreposer des ordures et obligation de nettoyer les espaces». Jean-François Becker s’emporte. «S’intégrer, mais s’intégrer de quoi? Ça fait vingt ans qu’on vit dans une maison! Je suis sûr que je sais mieux la tenir qu’eux», raille-t-il. Il en revient à son terrain : «Puisque le maire ne veut pas des gitans, moi je vais lui en amener dix, des caravanes, il va voir! J’en suis capable !» L’accumulation des contrariétés conduit Jean-François Becker à noircir le tableau: «Un "gens du voyage", ça fait peur. Dès qu’on arrive dans un village, tout le monde ferme les volets et les gendarmes rappliquent aussitôt pour nous déloger.»

A cela s’ajoute le sentiment de ne pas être un justiciable comme les autres. Entre 1991 et 2005, il a écopé de cinq condamnations mineures, mais a aussi fait quatorze mois de préventive pour rien: «J’ai été relaxé dans cette affaire de vol de voiture, et mon frère aussi.» Ce dernier aurait réclamé et obtenu 15 000 euros de dédommagement. «Moi, je n’ai rien demandé. Je ne veux rien devoir à la société.» À force, il avoue «s’en foutre de tout ça». «La dernière fois que j’ai vu une juge, elle m’a dit que c’était pas grave, que j’avais l’habitude de la prison.» Une institution qui lui a rendu un service de taille: l’apprentissage de l’écriture et de la lecture. «Je suis parti de l’école à 16 ans sans diplôme, juste avec une connaissance de la plomberie.» Aujourd’hui, quand il aura recouvré son permis de conduire, «injustement retiré», Jean-François aimerait prendre un peu de hauteur: «M’occuper des toitures m’intéresse.» Christelle, l’aînée de la fratrie, travaille déjà. Elle assure l’entretien des cottages à Center Parcs. Ses sœurs ont de bons résultats scolaires, l’une d’elle a même été première de sa classe.«Si je n’y arrive pas, je suis prêt à entreposer des piles de voitures bonnes pour la casse», assure-t-il. «Et si quelqu’un y touche, je porte plainte!».

Mourad Guichard

> Jean-François Becker en 5 dates

25 avril 1970: Naissance à Longjumeau (Essonne).
14 juillet: 1989 Rencontre avec Marie-Josèphe.
1991: Naissance de Christelle, leur première fille.
16 juillet 2010: Luigi Duquenet est abattu.
28 juillet 2010: Sarkozy installe une commission pour «faire le point sur les gens du voyage».

Comments

[Rédigé par : kenji]

Si je peux me permettre,"Victimisation" une stratégie de LE PEN dans les années 80 qui se disait victime de la presse qui selon lui le baillonait.Pourtant on ne lisait et n'entendait que lui, des propos toujours limites et provocateurs afin d'appater les journalistes.
Ce fut le 1er à l'époque à passer pour une victime et par conséquent tous ceux qui partagent ses idées.Il ne se génait pas pour généraliser sa "victimisation" à tous les Français.
Un vrai tacticien, de rien il arrive au 2e tours d'une présidentielle!Sarko l'a trés bien compris.

[Rédigé par : kenjo]

AL de Lyon,

Nous n'avons pas élevé les cochons ensemble (comme écrirait YP), vous êtes donc priés de bien vouloir me vouvoyer.

Avant d'entamer avec vous quelques explications franches, si vous me le permettez, cher Monsieur, supposé à Goche de ma droite, que signifie selon Vous le concept de ''Victimisation''?

Il y a tellement de gens qui parlent dudit concept que j'en ai perdu la signification première.

Merci de vos éclairages.

Le petit kenjo

PS: Je ne suis pas un Réactionnaire. Je ne suis pas non plus un adepte du concept de déterminisme racial, mon cas personnel en est même l'antithèse. Nous sommes donc d'accord. Ca commence bien.
Qu'on se le dise.

[Rédigé par : AL de Lyon]

Qu'est-ce qu'il te faut de plus mon petit kenjo pour te démontrer que je suis beaucoup plus progressiste et moins à droite que toi ? : je viens de te démontrer d'après une analyse très rigoureuse du discours, parcours, liens familiaux paysans de la personne interviewée, que des Français de souche se complaisent dans le quart-monde, un mode de vie marginal (pour être modéré), et se victimisent, sous l'alibi de faire partie d'une race. J'ai même dit avec empathie que cela était (ou pouvait être) à force de les traiter de manouches ou romanichels, voire gitans, ils s'imaginent en faire partie. En l'occurrence, mon petit kenjo, il ne faut pas être réactionnaire et sortir enfin des déterminismes raciaux dans lesquels tu te complais. Mes amitiés progressistes.

[Rédigé par : kenjo]

@Al de Lyon,

et vous vous faites partie de quoi ?
Du ''White Power''? du Front Nazie ?

Pauvre France.

[Rédigé par : AL de Lyon]

Ce n'est pas ce qu'on appelle un « gitan », il n'en a pas le profil ni les origines, ni le mariage. C'est le quart-monde, ce qu'en Amérique on appelle des « white trash ». À force de se faire appeler, d'après leur mode de vie, manouches ou romanichels, certains ont fini par s'y croire et s’enfoncent encore plus dans la victimisation.

[Rédigé par : kenji]

A tous les fachos
Vous devez être heureux, notre pére de la nation, Sarko que bénidiction soit sur lui et tous ces admirateurs qui se sentaient cocus, il vient enfin de leur redonner des couleurs.(lancer sa campagne 2012)
Des mesures nettement racistes et sans fondement juridique.
Mais de ça vous vous en fouttez, la seule chose à vos yeux c'est que tous ces métèques, métisses...en prennent sur la tronche.Venez pas me parler de la FRANCE, n'oubliez jamais que vous n'êtes pas SEULS.
Vous ne transformerez JAMAIS NOTRE pays en un tube d'UPSA.
Chai pas, ça devait me chatouiller

[Rédigé par : kenjo]

xav,

''Attention. Ne confondons pas. Est-ce que ça vous chatouille, ou est-ce que ça vous grattouille?'' (Knock, Romains).

Je ne partage pas votre opinion du second paragraphe, pour le reste il n'y a pas grand chose de polémique à mes yeux.

J'ai comme même une petite (2) question:
- Pensez-vous qu'il y a tout de même des victimes de racisme en France?
- Est-ce que ce phénomène est beaucoup plus important qu'auparavant?

Puis une autre question Politique:
- Pourquoi Sarko décide-t-il seulement maintenant de détruire la moitie des camps illégaux occupés par des Gens du voyage?
- Pourquoi avoir attendu un fait divers d'envergure nationale, pour subitement et précipitamment décider de ''traiter'' le problème ?

[Rédigé par : Xav]

Et si ça se trouve, ce sont les gendarmes eux-mêmes qui ont attaqué leur propre gendarmerie.

Y'a un terreau vindicatif et belliqueux dans cette communauté, ça se sent entre autres dans les paroles de ce Monsieur. Depuis deux semaines, la radio (et peut-être la TV, mais je ne la regarde pas) nous déverse des reportages où la haine du gadjé et des institutions transparait, et où les grandes gueules des clans manipulent habillement les concepts de racisme et d'antisémitisme pour justifier l'injustifiable.

La victimisation à outrance est une posture bien difficile à tenir, mais elle tirera des larmes aux défenseurs gauchos ("sauf dans mon jardin bien sûr").

Parlez en aux responsables des sociétés de transport, leur tranquillité s'obtient contre la fourniture à volonté de gasoil et contre la mise à disposition de 5 à 6 camionnettes Mercedes neuves qui seront dépouillées proprement avant d'être déclarées volées (témoignage d'un responsable de site d'un grand transporteur que je ne nommerai pas).

Je suis pour la paix des communautés, le contraire serait (d)étonnant, mais contre le fait de pardonner ou de faire exception, tout en expliquant que la mise à l'index n'est basée QUE sur des préjugés.

La ritournelle entendue à perte d'ondes (et de papier) concerne la nationalité pleine et entière (papy ancien combattant, 14 juillet, né en France) comme si la nationalité française donnait blanc-sein pour faire des conneries.

Je sais que je suis politiquement très incorrect ce soir, mais ça fait un p'tit moment que ça me chatouille.

[Rédigé par : Richard Pierre]

C'est bien connu, en cas de crise majeure , on désigne des coupables à la vindicte populaire.
En l'occurence, non pas pour expliquer la crise actuelle, mais plus sûrement pour préparer les "justifications" de celle à venir, mondiale plus que jamais, et qui n'est pas loin, à ce que semblent révéler les analyses éclairées de certains macroéconomistes (source : presse et radios diverse).
C'est quand même malheureux que l'on continue à appliquer les mêmes recettes d'embobinement des populations, celles-là même qui nous ont amenés à la 2ème guerre mondiales, alors que l'on connait les conséquences...
Tout ça pour perdurer dans un petit pouvoir, sous de grandes institutions...
Merde à nos gouvernants !

[Rédigé par : Patrick B.]

Un détail m'interpelle dans votre portrait de Jean-François :

Il dit être allé à l'école "normalement" jusqu'à 16 ans. Il en est sorti illettré. Ensuite, en prison, il apprend à lire et à écrire !

Je me demande quelles pouvaient être les relations entre les professeurs et cet adolescent, visiblement pas "débile", et pourtant si peu motivé qu'il n'avait pas appris à lire en 10 ans d'école ?
En tout cas, la notion de "scolarité normale" de Jean-François me semble étonnamment différente de la mienne...

[Rédigé par : BCT]

Bravo l'artiste ! Je parle de Sarkozy bien évidemment et de ses acolythes Hortefeux, Besson et les autres.
2012 vaut bien un Rom ou un "Boumian" comme on dit chez moi.
C'est, pour reprendre les propos de Fadéla "dégueulasse" de montrer du doigt une communauté. Les Roms sont européens et les gitans, bohémiens, ..., sont français depuis bien plus longtemps que ce hongrois, qui visiblement n'a pas digéré d'être un migrant. Comme disait quelqu'un que j'aime "Il n'y a rien de pire que les putes repenties". Pardon bien sûr pour les putes mais l'expression souligne les personnes qui oublient trop rapidement d'où ils viennent. Hortefeux vient de l'Auvergne, pays Nord Africains (quand il y en a ...), Besson élevé au couscous marocain a beaucoup souffert dans ce merveilleux pays et ce pôvre président ne sait plus où il habite. La preuve il est seulement locataire à titre gracieux d'un édifice de la République avant d'être mis à la rue en 2012 ... Et c'est nous qu'on paye !